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Jean Patrick Beaufreton
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Le père avait vécu toutes ses vacances d'enfance sur la même plage. Après son mariage, il avait maintenu la tradition familiale, l'esprit tranquille. Par paresse ou par mollesse, sans poser la moindre question, son épouse avait accepté cette destination et fut charmée par les lieux ; en deux ou trois années, aucun endroit ne lui sembla plus propice à un repos estival... Et si on construisait un château de sable, cette année ?
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La première version écrite de l'aventure de Robert le Diable date du XII° siècle. Le Dominicain Étienne de Bourbon en fait un exemplum. Les Croniques de Normandie s'ouvrent sur la biographie de ce héros. Pourtant aujourd'hui encore, les rumeurs sont nombreuses et contradictoires autour du personnage.
Puisant à la source première, Jean-Patrick Beaufreton a composé en 2000 un spectacle intitulé « L'épopée de Robert le Diable ».
Tel un troubadour médiéval, seul sur scène, il interprétait tous les personnages : le duc, la duchesse, Robert, le pape, l'ermite, l'empereur et la princesse amoureuse. Lumières, bruitages, brefs poèmes contemporains à la manière médiévale, musiques d'époque...
Depuis, le conteur s'est tu, le texte s'est endormi. Aujourd'hui, il reprend vie pour être lu comme un monologue à transmettre avec passion et élan. -
En 1940, les "gens du voyage", commerçants ambulants, gitans, forains, etc. ont été regroupés avant d'être déportés vers des camps d'internement. Pour tout le département de l'Eure, le camp était situé à Louviers.
À partir de témoignages et de documents d'époque, cette épreuve revit à travers un personnage fictif et crédible. -
Partant d'un fait divers réel, l'imagination met les personnages en scène : un amateur de boomerang reçoit son appareil en pleine tête en pratiquant son loisir.
Dès lors, il souffre d'amnésies à répétition et cherche qui peut pouvoir prendre en charge ses éventuels soins. La combien qu'il trouve est pour le moins originale. -
Après la mort du roi Charles V, les régents du jeune successeur cherchent à rétablir des impôts interrompus par le défunt. Les Rouennais courent à la charte aux Normands qui prévoit : « Le roi ne lèvera en Normandie que les impôts ordinaires » et à la charte de Philippe-Auguste qui ajoute que les Rouennais ne versent pas d'impôt sur le vin.
On leur rétorque que les aides ne sont pas un impôt ordinaire, et que le régent ne veut taxer que le vin consommé dans Rouen. Les chartes semblent violées.
La révolte gronde... -
Un soir, devant le soleil qui se baignait dans la mer, il l'avait baptisée « ma Sirène ». Elle partageait ce souvenir avec le coeur serré, les sanglots lui étranglait la gorge. Les yeux remplis de larmes, Elle avouait aussi qu'Elle aurait tout quitter ici pour le suivre ailleurs et partout, sur terre, sur mer et dans ses rêves les plus lointains, au-delà de l'horizon.
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Je ne cherche pas à mentir : ce que je dis, c'est la vérité pur jus ; je n'ai même pas besoin d'inventer, surtout que je ne suis pas douée pour mentir ! Mais je dois bien l'avouer, c'est plus fort que moi : je suis une vraie gaffeuse, une vraie de vrai ! Je gaffe... toujours par inattention, jamais par bêtise
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- Encore un gars ! Quand est-ce que tu me feras une fille ?
Monsieur Anthelme était déconcerté d'être le père d'un cinquième garçon. Bien davantage, il était furibard !
- Je vais quand même pas en avoir une tripotée, composer une équipe de rugby entière, avant d'avoir une seule gonzesse ! -
Au cours d'une vente aux enchères, Mathias acquiert un carton de manuscrits signés d'un auteur qu'il ne connaît pas. Le jeune homme entre de plain-pied dans l'esprit et l'intimité de l'écrivain du XIXe siècle ; celui-ci voulait écrire l'épopée de Caroline, puis l'abandonnait, avant de la reprendre. Mathias voit l'héroïne illusoire et sent à son tour le besoin de raconter son histoire.
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Chaque jour, Mario est un habitué du Balto. Le patron, les clients le connaissent et l'apprécient, chacun à sa façon. Ce midi-là, Mario se lance à raconter comment son horoscope lui a prédit des évènements qu'il a vécus...
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Ce type-là est prêt à n'importe quoi, à passer la nuit n'importe où, pourvu qu'il ne retrouve pas sa bonne femme... Elle l'use, elle le mine, elle le harcèle, elle le pompe, elle le vide... Tu entends ça, Martin, « ma femme me vide ».
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Geneviève de Saint-Martin n'imaginait pas connaître le sort des femmes de son village. Depuis octobre 1914, il ne se passait pas un mois sans la visite des gendarmes en mairie pour annoncer une triste nouvelle.
Elle n'avait aucun parent sous les drapeaux ; sa seule et lointaine connaissance, Jacques Sablier, était médecin dans un hôpital auxiliaire, loin des lignes, utile à la patrie, voire indispensable.
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M. Placide, parlementaire d'une circonscription lointaine, s'interrompt. Une maladie l'a empêché de siéger à la capitale pendant deux mois. L'élu, connu de ses seuls concitoyens provinciaux, revient avec une pensée rencontrée quelque part, une graine germée on ne sait où, une réflexion entendue loin des palais de la République.
Un électeur lui avait-il soufflé cette utopie ou l'avait-il perçue dans un éclair de sérénité ? Créer une nouvelle sorte de modèle de gouvernance ? Finis le demos des grecs, place au populos des latins.
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Pour occuper un week-end annoncé comme pluvieux, Justine s'était fixé une occupation utile : remplir son dossier de concours. Cette épreuve obligatoire lui offrait l'occasion inespérée, de se pencher sur elle-même, sa carrière et son avenir.
Dès la porte franchie, Justine trouva le jury impressionnant au premier coup d'oeil. Seul l'homme à droite de la présidente paraissait jeune, très jeune même, l'allure d'un étudiant attardé.
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Février 1768, Marie et Mathieu sont fiers de leur fils de cinq ans, Mathieu lui aussi, malin et malicieux ! En revenant de chez Jacques, son copain tonnelier qui sait composer et clamer des poèmes, le père songe à l'hiver rigoureux, à la récolte misérable, à la vie du village.
Il trouve utile d'apprendre à lire à son fiston. Marie de son côté pense que leur garçon est encore jeune et encourage Mathieu à lui enseigner des choses utiles : aider aux champs, affronter l'existence pauvre. Il convient que les temps sont rudes, mais les enfants jouent et les parents s'aiment, c'est déjà beaucoup !
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En ce temps-là, les minoteries industrielles n'avaient pas envahi le pays, les nombreux artisans vivaient de leur métier. Au-dessus de chaque colline, le long de chaque rivière, les moulins écrasaient le blé, aidés par le vent ou par le courant.
- Marc, tu es en âge de trouver une femme et l'installer dans le moulin de ta famille.
- J'irai au prochain bal et j'espère convaincre Fleur... -
Ce matin, juste après l'ouverture, les boîtes à bonbons ont décollé de l'étagère dans la boulangerie, et elles ont volé en l'air. Le maire tenait son explication : le boulanger farceur draguait son employée naïve. Rien d'autre à chercher. Il se souvint que son fils fréquentait aussi cette Nicole ; il l'interrogerait et serait mieux informé que le village, un peu crédule à ses yeux. Si la gendarmerie ouvrait une enquête, le maire avertirait le brigadier d'aller tâter dans cette direction.
Mais les idées préconçues se heurtent souvent à la réalité plus simple et étonnante, surtout quand les sentiments se révèlent plus forts que la raison.
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Les grands yeux clairs se tournaient vers le tribunal.
- Madame Leduc, rapportez-nous ce qui s'est passé chez le guérisseur.
La dame sortit de sa torpeur :
- Je suis allée voir monsieur Géraud parce que, avec mon mari, ça n'allait pas fort... Il m'a écoutée. Je lui en disais un peu. Et comme je me sentais bien, je lui en ai dit davantage. Des trucs que je disais à personne. Il est venu s'asseoir à côté de moi, m'a caressé la joue, a essuyé mes larmes, m'a pris la main. Il m'a demandé où mon corps se troublait le plus... -
Plus qu'une tradition, un véritable rendez-vous. Depuis le décès de grand-père Robert, grand-mère Hélène, appelée Mémélène, réunissait ses enfants et petits enfants. Parcourir la route qui menait chez ma grand-mère était un plaisir. Je me faisais une joie de retrouver mon oncle Jacquot, rondouillard et plaisantin, et Tata Toinette qui me couvraient de baisers, de câlins, de tendresses. Mon oncle ne ressemblait en rien à sa soeur, la tante Alice : grande, sèche, un chignon sur le sommet de la caboche où elle boudinait et tortillait ses cheveux.
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Mathurin est un garçon à la vie exemplaire : les amis de ses parents le citent en exemple.
Mathurin a un diplôme, comme beaucoup de jeunes de sa génération ; il a un emploi, comme tous les pistonnés par leur paternel ; il habite chez ses parents, et cela rassure ceux qui redoutent le départ de leurs enfants du cocon familial. Ce qui est moins visible, moins exhibé, c'est le petit coeur de Mathurin, ses souffrances intimes, ses amours platoniques sans lendemain. Mathurin rêve en secret d'une donzelle pour le restant de ses jours, mais les jours défilent plus vite que les nymphettes entre ses bras. -
Prisca et Sébastien sont heureux d'emménager dans leur maison : fini la vie en cage, le bruit des voisins, le tohu-bohu des voitures sous leur fenêtre. La maison qu'ils ont achetée est dans une ruelle en bordure d'une ancienne église abandonnée depuis belle lurette.
La nuit, un bruit se fait entendre. Toutes les nuits, le même bruit... À défaut d'en trouver eux-mêmes l'explication, ils invitent les voisins pour le verre de l'amitié, ce sont des anciens qui ont toujours vécu dans le quartier. -
La plus chère tradition de Mamette est de réunir la descendance au grand complet le dimanche entre la fête de Noël et le Nouvel an : ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, pas un ne manque à l'appel. Pour rien au monde, Mamette ne dérogerait à cette coutume ; c'est sa Fête, avec un grand adjectif possessif et une immense majuscule.
Quelques descendants, sa fille en tête, songeaient à la décharger de cette corvée annuelle, jugée trop lourde pour son âge. Ils auraient souhaité lui réserver une surprise et organiser le repas complet pour la si longue tablée. -
Isabelle et Auguste menaient une vie sans éclats, les cordons de la bourse serrés : Auguste suivait les recettes et surtout les dépenses. Ensemble ils regardaient une année remplacer la précédente.
- Dans mon cercueil très ordinaire, dit un jour Auguste, au plus bas prix, tu placeras ma boîte en fer, avec tout notre pécule, sans en retirer un seul centime.
Isabelle eut du mal à marmotter quelques mots : je te promets... -
Nous venions de rentrer de vacances en famille, l'été se prolongeait. Mon épouse finissait de ranger les derniers bagages ; je passais la tondeuse. La routine du français moyen, en quelque sorte.
Tout à coup, j'aperçus mon épouse sur la terrasse mimer que l'appel était pour moi. La voix n'était pas étrangère, les intonations surtout. J'hésitais à croire à cet appel : celui du grand amour qui n'avait pas fleuri, de la fille, avec qui j'avais rompu, en bonne intelligence, sans nous fâcher, juste en nous éloignant.