« Vous vous réveillez un matin, vous êtes noire ».
Ainsi commence le nouveau livre de Laure Gouraige. Un message laissé par une journaliste invite la narratrice à la radio pour témoigner du racisme dont elle est victime. Assommée par cet appel, elle retourne se coucher.
Mais voilà, embarras, interrogation. Suis-je noire ? Métisse sans doute, de père haïtien mais depuis longtemps exilé en France. Ah oui, Haïti ! Le souvenir de Sissi, une formidable grand-mère. Et quoi d'autre ? « L'île existe étonnamment vivante et morte. Jamais vous n'irez là-bas. » Devant le miroir, elle est un peu noire. Certainement plus que la veille. Et encore bien plus le lendemain.
Pourquoi personne ne l'a prévenue ? Pourquoi ne s'est-elle jamais « vue noire » auparavant ? Espérant devenir plus noire qu'elle ne l'est vraiment, la narratrice entame une quête aux apparences absurdes, souvent irrésistibles.
Mais en explorant son histoire haïtienne manquée, celle d'un pays pour lequel elle n'avait jusqu'alors aucune affection, elle se sent soudainement impliquée dans une continuité rompue par l'exil de sa famille. Elle, petite pièce rapportée, se met à désirer ce qu'il y a de plus laid dans l'identité. Que peut-elle créer à partir d'un héritage raté ? Une histoire familiale perdue qu'elle comble par des inventions. Cependant, malgré ses artifices, certains manques resteront à jamais béants. Malgré un drôle de voyage à Miami et un aller-retour en Haïti.
« Ce que tu fais, c'est toujours comme cela avec toi, tu le fais pour mon bien. Comment, pourtant, me fais-tu aussi mal ? » La narratrice s'adresse durement à son père. Elle vient d'avoir trente ans et son anniversaire devient le prétexte pour interpeller le père. Elle voudrait pouvoir lui dire qu'elle entend enfin vivre sa vie librement. Mais cette perspective demeure confuse quand l'existence nous a été dérobée.
« Papa, je pense que nous allons nous fâcher. J'ai soutenu ton regard jusqu'au dernier mot, je venais de dire ce que toujours j'avais su, ce que je pense que nous savions tous les deux. Nous allions nous fâcher. ».
En écrivant sa douleur sous la forme d'une adresse directe, violente, parfois cruelle, mais souvent drôle aussi, la fille rappelle les souvenirs d'une vie qu'elle ne désire plus. Tout en faisant comme si l'affranchissement du père devait pourtant se réclamer. Et tout en éprouvant l'ambivalence de ce lien.
Elle lui reproche la perfection qu'il exigeait d'elle depuis l'enfance. « C'était toi et moi, écrit-elle. Or c'est précisément parce que c'était toi et moi que c'était impossible. » La narratrice pense d'abord se délivrer par le silence mais le désir de raconter est le plus fort. Écrire lui offre la permission d'une décision définitive, l'excitation d'une vie pour soi. Loin du père. Alors même que le livre lui est adressé, et se tient à la frontière floue du règlement de comptes et du cri d'amour.