Contemporains des cathédrales gothiques, les romans arthuriens en prose sont des fictions labyrinthiques. Cycliques, ils se déploient en prenant modèle sur le vivant (forêts, branches, entrelacs), transformant romanciers et copistes en jardiniers d'écriture. D'un manuscrit à l'autre, la rosace cyclique s'ouvre : le jardinier copiste taille, greffe, innove ou reproduit, il acclimate. Ce livre étudie les procédés de « manuscriture » des ateliers romanesques, à partir du corpus des Suites du Merlin en prose : dernière branche rapportée au sein du Lancelot-Graal, la Suite dite « Vulgate » du Merlin contrecarre en effet toute tentative de clôture. Elle paraît elle-même plurielle ; dans la tradition manuscrite, elle est concurrencée par d'autres alternatives, qui proposent plusieurs mondes arthuriens possibles, des lignes de suite. Toutes sont placées sous la figure tutélaire de Merlin, le prophète « rassembleur de temps », personnage d'écrivain voué à disparaître. Les liens de parentés poétiques et textuels de ces textes multiples révèlent des usages romanesques, des pratiques de lecture et d'écriture collaboratives : un art, médiéval, d'inlassablement donner suite et de multiplier les mondes dans la mémoire des lecteurs et des lectrices, au Moyen Âge et aujourd'hui.
Écrites en français dans les années 1270, probablement par un franciscain de Venise, les Prophéties de Merlin du pseudo Richard d'Irlande couronnent près d'un siècle d'écriture en prose. Ce texte protéiforme, à l'image des "muances" qui caractérisent les apparitions de Merlin dans les romans du XIIIe siècle, réfléchit les tensions inhérentes à l'écriture des cycles romanesqu es. Le texte est placé sous le signe de la métamorphose : sa tradition manuscrite, sa composition, ses procédés d'écriture travestissent la forme romanesque et donnent naissance à un roman décentré et instable, qui joue de l'effet de cycle pour ouvrir la fiction arthurienne à d'autres espaces littéraires.
Dans notre mémoire littéraire, l'apparition des lais narratifs bretons a fait deux fois événement : pour les auditeurs du XIIe siècle, qui en ont fait un succès littéraire, déterminant ainsi la constitution d'un genre qui a fait école, mais aussi pour nous, lecteurs contemporains, qui n'avons cessé, depuis leur découverte, de les éditer, de les traduire, d'en commenter l'énigmatique attrait. En proposant de lire côte à côte les lais de Marie de France et plusieurs lais anonymes, le présent volume voudrait faire apparaître la cohérence d'un corpus constitué sur plusieurs décennies. Choisis pour la richesse des résonances qu'ils offrent avec les lais de Marie, les cinq lais anonymes ici présentés bénéficient d'une édition et d'une traduction nouvelles.
Les lais de Marie de France ont été traduits d'après l'édition de Jean Rychner, entièrement revue.
Edition bilingue établie, traduite, présentée et annotée par Nathalie Koble et Mireille Séguy.