« Chez ma mère, sur sa table de chevet, il y avait une photo de nous trois rigolant enchevêtrés l'un sur l'autre dans une brouette. C'est comme si on nous avait poussés dedans à une vitesse vertigineuse et qu'on nous avait versés dans le temps. »
« Mon ami Serge a acheté un tableau. C'est une toile d'environ un mètre soixante sur un mètre vingt, peinte en blanc. Le fond est blanc et si on cligne des yeux, on peut apercevoir de fins liserés blancs transversaux. Mon ami Serge est un ami depuis longtemps. »
A l'école, Ferdinand attaque Bruno à coups de bâton. Les parents se rencontrent pour régler le litige dans l'appartement du blessé. Au tout début, urbains, bienveillants, conciliants, ils tentent de tenir un discours commun de tolérance et d'excuse qui s'envenime peu à peu. Entre Alain Reille, avocat sans scrupule qui répond sans cesse à son portable tout en défendant une vision du monde à la John Wayne, Véronique Houillé à la morale citoyenne qui écrit un livre sur le Darfour, son mari Michel qui vient d'abandonner le hamster de sa fille dans le caniveau et Annette Reille qui se met à vomir, c'est la débandade, le chacun pour soi, le conflit ouvert, la catastrophe qui s'annonce...
A partir d'un petit fait du quotidien chez des quadras bourgeois (l'univers de Art et de Trois versions de la vie), Yasmina Reza évoque avec jubilation, férocité et tendresse aussi tous les paradoxes de la condition humaine : l'égoïsme et la générosité, la responsabilité et l'indifférence, la politesse et la brutalité, le futile et le grave, tout le dérisoire des grandes déclarations qui s'effondrent à la moindre anicroche.
« Tout le monde riait. Les Manoscrivi riaient. C'est l'image d'eux qui est restée. Jean-Lino, en chemise parme, avec ses nouvelles lunettes jaunes semi-rondes, debout derrière le canapé, empourpré par le champagne ou par l'excitation d'être en société, toutes dents exposées. Lydie, assise en dessous, jupe déployée de part et d'autre, visage penché vers la gauche et riant aux éclats. Riant sans doute du dernier rire de sa vie. Un rire que je scrute à l'infini. Un rire sans malice, sans coquetterie, que j'entends encore résonner avec son fond bêta, un rire que rien ne menace, qui ne devine rien, ne sait rien. Nous ne sommes pas prévenus de l'irrémédiable. »
Elle s'enduisait de la vieille crème de huit heures d'Elizabeth Arden. Tu pues le camphre Gigi, je disais. Elle répondait c'est un aphrodisiaque, la pauvre Au temps du Théâtre de Clichy, j'étais sa seule amie. Les autres étaient jalouses.
Les hommes tournicotaient comme des mouches. Elle tombait amoureuse plusieurs fois par mois.
À vingt-trois ans elle s'est trouvée enceinte. Pendant deux jours on s'est cassé la tête pour savoir quoi faire et puis elle a dit, allez hop je le garde. Ça ne l'intéressait pas de connaître le père : de toute façon il me fera chier.
Dans le 95, qui va de la place Clichy à la porte de Vanves, je me suis souvenue de ce qui m'avait enchaînée à Igor Lorrain. Non pas l'amour, ou n'importe lequel des noms qu'on donne au sentiment, mais la sauvagerie. Il s'est penché et il a dit, tu me reconnais ? J'ai dit, oui et non. Il a souri. Je me suis souvenue aussi qu'autrefois je n'arrivais jamais à lui répondre avec netteté. ? Tu t'appelles toujours Hélène Barnèche ? ? Oui. ? Tu es toujours mariée avec Raoul Barnèche ? ? Oui. J'aurais voulu faire une phrase plus longue, mais je n'étais pas capable de le tutoyer. Il avait des cheveux longs poivre et sel, mis en arrière d'une curieuse façon, et un cou empâté. Dans ses yeux, je retrouvais la graine de folie sombre qui m'avait aspirée. Je me suis passée en revue mentalement. Ma coiffure, ma robe et mon gilet, mes mains. Il s'est penché encore pour dire, tu es heureuse ? J'ai dit, oui, et j'ai pensé, quel culot. Il a hoché la tête et pris un petit air attendri, tu es heureuse, bravo.
Portrait de Yasmina Reza © Pascal Victor/ArtComArt
« Où est l'enfance ? Des jours écoulés et vécus, il devrait de temps en temps jaillir une image lumineuse, une fulgurante réminiscence.
Mais rien ne surgit. Rien ne triomphe du désir d'oubli. »
« Tu me bravais avec cette ridicule soif d´absolu qu´ont les gens de cet âge et je me disais, le petit est véhément à souhait, il sortira du lot. Mais tu n´es sorti de rien. Les vapeurs de jeunesse passées, tu as repris ta place dans la moyenne. Plus trace d´insurrection. Plus trace de vengeance. Tu as si vite craint pour ta peau, mon pauvre enfant. Comme la cohorte de tes amis les veules, tu sais que tout geste se paye, aussi as-tu choisi d´emblée de ne plus te signaler. Ecarter la souffrance, tel est votre horizon. Écarter la souffrance, vous tient lieu d´épopée. »
Ils jouent gros. C'est ce qui me touche. Ils jouent gros.
Ils sont à la fois le joueur et la mise. Ils ont mis eux-mêmes sur le tapis. Ils ne jouent pas leur existence, mais, plus grave, l'idée qu'ils s'en sont faite.
" J'ai fait le rêve suivant.
Mon père mort revenait me voir.
- Alors, lui dis-je, comment est-ce ? As-tu rencontré Beethoven ?
Il se renfrogne et secoue la tête avec dégoût et tristesse :
- Ah, la, la ! Horrible rencontre !
- Comment ça ?
- Très antipathique. Très.
- Mais comment, papa ?
- Je m'approche de lui, poursuit mon père, prêt à le serrer, sais-tu ce qu'il me dit : " Comment avez-vous osé vous attaquer à l'Adagio d'Hammerklavier ? " - Pardonnez-moi maître, lui répondit mon père, je vous imaginais au-dessus de ça à présent.
- Mais enfin ! s'écrie Beethoven, être mort n'est pas être sage ! ".
« Le maître de mon mari a étranglé sa femme, lui se contente de laisser sa main choir au bout de l'accoudoir, de façon lamentable et flétrie. Mon mari n'a pas de radicalité. C'est un disciple. La génération de mon mari a été écrasée par les maîtres. »
" Un beau jour on s'assoit et ça y est, on se fout d'être Adam Haberberg.
"
"Mes chers amis, monsieur le Maire, je vous remercie d'être venus, plus nombreux que jamais, assister à cette première soirée du troisième cycle des Samedis littéraires de Vilan-en-Volène. Un cycle dont la première édition se déroule comme chaque année au printemps, avec une coupure au mois d'août..."
Boris et sa maîtresse Andréa se disputent sur le parking d'un restaurant. Elle ne comprend pas comment il a pu l'emmener dîner dans un établissement conseillé par son épouse. Pour couronner le tout, en faisant une marche arrière, Boris renverse Yvonne, la belle-mère de la meilleure amie de sa femme.
"J'aime les voyages. En posant le pied à Francfort, je serai une autre : la personne qui arrive est toujours une autre. D'ailleurs c'est ainsi qu'on va, d'autre en autre, jusqu'à la fin." Un écrivain de renom voyage dans le train Paris-Francfort en face d'une inconnue qui lit son dernier livre, L'homme du hasard. Deux monologues solitaires, chacun ressassant sa vie, lui perdu dans ses pensées aux couleurs d'amertume, elle l'ayant reconnu et ne sachant comment l'aborder.
"Arrête avec ces chaises ! ... Nous sommes des gens civilisés, nous souffrons avec des règles, chacun retient son souffle, pas de tragédie. Pourquoi au fond ? Je n'en sais rien, mais c'est comme ça. Toi et moi, nous participons à cet effort de dignité..."
"Je fais de l'argent. J'en gave mes fils qui sont deux nullités, c'est sûrement le plus mauvais service que je peux leur rendre, mais au moins je m'épargne artificiellement le souci que me cause leur indigence. Je n'ai jamais douté que ma vie était ailleurs."
Yasmina Reza a décidé d'être elle-même : drôle, nerveuse, impertinente, impatiente, autant de qualités réunies dans " Art ", comédie hilarante et sensible.
Le Monde Une comédie remarquablement intelligente, profonde et spirituelle. " Art " touche à l'universel. The Times Un miracle. La plus haute école de la comédie. Die Welt Conversations après un enterrement, une pièce violente, noire, drôle. Yasmina Reza est parmi ces écrivains qui manient en virtuoses une ironie onirique. Le Nouvel Observateur La Traversée de l'hiver, un des plus beaux imbroglios d'amour que j'aie vu depuis longtemps.
Le Canard enchaîné
Winner of the Prix Renaudot Shortlisted for the Prix Goncourt Elisabeth is a woman whose curiosity and passion far exceed the borders of her quiet middle-class life. She befriends a neighbor, organizes a small dinner party. And then, quite suddenly, finds herself embarked with him on an adventure that is one part vaudeville and one part high tragedy. A quiet novel of manners turns into a police procedural thriller. Her motivations for risking everything she has are never transparent. In a world where matters of life and death are nearly always transported to a clinical setting, whether it be a hospital or a courtroom, here each character must confront them unassisted. A truly original and masterful novel from one of the worlds most inventive and daring artists.
La première édition de ce roman tragique et burlesque fut publiée en février 2003.
Il avait pour titre le patronyme du personnage principal. adam haberberg, écrivain sans renom et hypocondriaque qui se confronte par hasard a une ancienne camarade de lycée. son titre originel hommes qui ne savent pas être aimés regretté par l'auteur, préféré par certains éditeurs étrangers, disait sans doute mieux son universalité et sa vérité profonde, c'est pourquoi cette nouvelle édition le reprend aujourd'hui.
" A l'âge de sept ans, j'ai eu un professeur de violoncelle qui s'appelait M.
Litnick. M. Litnick était la bonté même. Il avait un bras qui tremblait. Il ne pouvait plus jouer à cause de ce bras qui tremblait. Et il ne pouvait plus enseigner car il n'inspirait plus confiance... Le jour où il est venu pour la dernière fois chez nous, je lui ai dit au revoir et je l'ai regardé disparaître de ma vie par la fenêtre.. M. Litnick traversait la rue. Je pouvais voir de dos qu'il marchait avec chagrin.
A l'arrêt de l'autobus, il a levé les yeux vers notre appartement, il m'a vu à la fenêtre, et il m'a fait un signe en soulevant son chapeau avec une gentillesse... Dans le sourire de Vienne, il y avait un encouragement identique, quelque chose que je n'avais pas vu depuis des années, de tendre et d'humain, d'une solitude à une autre... Quelque chose de vraiment inattendu de la part d'une femme à mon égard.
" Un film de Didier Martiny avec Philippe Noiret, Carole Bouquet, Niels Arestrup, Stéphane Audran, Michel Aumont, Judith Magre, Johan Leysen.
" Les acteurs sont des lâches.
Les acteurs n'ont pas de courage. Moi le premier. Les qualités humaines habituelles dans le monde normal sont contraires au bien de l'acteur. "